Tandis que le monde continue tranquillement de surchauffer, les nuages de se charger de microplastiques, etc., je continue d’explorer la glorieuse histoire du mouvement trans, qui représente tout de même « l’enjeu de droits civiques de notre temps », comme l’a audacieusement formulé ce cher Joe Biden.
James Morris, donc, pionnier britannique du transsexualisme et grand reporter international, comme l’indique le titre de son autobiographie parue en 1974. Morris connaît une enfance paisible et heureuse dans une famille de riches. Jeune, il paraît fasciné par « la vie militaire », qui l’avait « toujours paradoxalement attiré ». « J’ai toujours admiré les vertus militaires, le courage, le panache, la fidélité, l’autodiscipline, et j’aime l’allure des soldats. » Youpi, n’est-ce pas. Il est néanmoins convaincu d’être une femme, pour une raison mystérieuse, qu’il n’explique jamais clairement, à aucun moment du livre.
Il pose cependant une question intéressante : « Je pensais éprouver les sentiments d’une femme, mais comment pouvais-je savoir ce que ressent une femme ? » Malheureusement, cette question reste sans réponse dans la suite de l’autobiographie. Zut alors.
Morris est conscient de la différence entre sexe et genre : il s’estime « féminin par le genre et mâle par le sexe ». Mais il s’imagine que le genre, qu’il considère comme une sorte d’essence innée et indépassable, devrait déterminer le sexe. Car selon Morris, le genre est réellement ce qui fait la femme, bien plus que le sexe biologique, lequel ne serait en quelque sorte qu’un produit du genre.
Il rencontre Harry Benjamin, le père fondateur du transsexualisme, qui se demande, « puisque nous ne pouvons pas modifier la conviction pour l'adapter au corps, si nous ne devrions pas, en certaines circonstances, modifier le corps pour l'adapter à la conviction ».
Morris s’extasie :
« Modifier le corps ! Éliminer ces organes superflus, comme les Phrygiens d'autrefois [il semble fasciné par les diverses traditions plus ou moins assimilables au transsexualisme que l’on trouve dans diverses cultures à travers l’histoire, qui relèvent pourtant de croyances mystiques, sexistes et/ou de pratiques barbares conçues par des sociétés inégalitaires et patriarcales], me purifier de cette erreur […] ! Modifier le corps ! Assortir enfin mon sexe à mon genre, faire de moi un tout ! »
Il continue :
« J'étais arrivé moi-même à la conclusion que le sexe n'était pas une division, mais un continuum, que presque personne n'était complètement d'un sexe ou de l'autre et que l'infinie variété de nuances entre les deux extrêmes était l'un des plus merveilleux phénomènes de la nature. Le sexe était comme un indicateur biologique, mais la jauge sur laquelle il oscillait était cet élément très différent, le genre. Si le sexe était une question de glandes ou de valves, le genre était psychologique, culturel ou, selon ma propre façon de voir, spirituel. Si le sexe de quelqu'un, raisonnais-je, tombe au bon endroit sur le cadran des genres, fort bien ; s'il tombe de façon anormale, trop loin dans un sens ou dans l'autre, alors c'est la confusion. »
Autrement dit, à un « genre » doit correspondre un sexe, autrement, il y a maldonne. La normativité transidentitaire, simple inversion de la normativité conservatrice (selon laquelle le sexe doit déterminer le « genre »), s’exprime déjà clairement chez Morris, qui explique que l’opération chirurgicale qu’il choisira de subir visait à « rectifier les signes indicateurs de mon sexe de façon à les accorder plus rationnellement et plus exactement à ceux de mon genre ». Morris considère « le sexe uniquement comme l’instrument du genre ».
Morris avait apparemment toujours « voulu être » une « épouse fière et courageuse », une « mère passionnée » (le fait de donner naissance semble avoir été un fantasme majeur pour lui, nul doute qu’il aurait vivement appuyé la recherche technoscientifique en matière de greffe d’utérus, comme nombre d’activistes trans aujourd’hui).
James Morris est en outre passablement sexiste. Dans sa jeunesse, avant de commencer à se dire « femme » et de subir une opération improprement dite de « changement de sexe », en tant que journaliste, il couvre, en 1953, une expédition britannique visant à escalader l’Everest — un accomplissement dont il est particulièrement fier. Il est notamment fier de son corps d’homme, « mince et musclé », qui « ne devenait jamais gras et fonctionnait comme une honnête machine, réagissant généreusement au plus léger coup d’accélérateur ou à une longue randonnée », « réglé pour l’accomplissement de cette tâche et [qui n’aura connu] ni raté ni défaillance ». Par contraste, ajoute-t-il, « les femmes, je pense, n’ont jamais ce sentiment au sujet de leur corps ». Cette « sensation de contrôle imperturbable », prétend-il, « les femmes ne peuvent [l’]éprouver ».
Plus loin, Morris affirme :
« Les hommes sont plus doués que les femmes pour l'esprit d'équipe et cela vient en partie de ce que, s'ils sont du même âge, de la même catégorie et sont placés dans les mêmes conditions, ils agissent ensemble comme un mécanisme plus volontiers que les femmes. Les moments d'allégresse et d'abattement risquent moins de les détourner de leur but. Parce que leur allure est plus régulière, tous peuvent mieux s'y adapter. Il y a en eux nettement plus de rythme que de mélodie. »
Morris admire néanmoins le rôle des femmes, qui « s’occupaient des choses réelles de la vie, comme d’élever les enfants, de peindre des tableaux ou d’écrire à leurs familles » — et laissaient sagement la politique aux hommes ! (En outre, Morris n’aime pas « l’écologie à la mode », il « accepte l’homme et ses œuvres comme la force dominante de la nature ».)
Morris semble trouver « plaisante » la subordination des femmes : « Bien que je fusse arrivée tard à la féminité, “un cas de croissance tardive”, comme quelqu'un dit de moi, la subtile forme d'asservissement des femmes s'imposa à moi et je m'y adaptai exactement de la façon dont les femmes s'y étaient adaptées au cours des générations. Ce n’était, naturellement, pas entièrement déplaisant. […] Les gens sont en général beaucoup plus aimables avec les femmes et la société plus indulgente. […] La femme peut parler sur un ton péremptoire car elle risque moins qu'on lui réponde sur le même ton […]. Sa fragilité est sa force, son infériorité un privilège […]. »
Tous les clichés y passent :
« Une névrose, fréquente chez les femmes, porte le nom d'envie du pénis, les femmes qui en sont atteintes supposant qu'une puissante énergie de l'âme est inhérente au simple fait d'avoir des organes mâles. Il y a une part de vérité dans cette vue de l'imagination. Ce n'était pas seulement la perte de mes hormones génitales mâles qui me rendait plus réservée, plus prompte à me laisser guider, plus passive : l'ablation des organes eux-mêmes y a contribué car il y a dans la présence du pénis quelque chose de positif et de stimulant. Mon corps était alors fait pour aller de l’avant ; il est fait maintenant pour céder et accepter, et le changement extérieur a eu des conséquences internes. »
Bref. De la confusion, des absurdités, du sexisme et une théorie farfelue qui subordonne normativement — et pour des motifs absurdes — le sexe au genre. Le transgenrisme.
Tout ça n’a pas empêché de nombreux médias du monde entier, à l’époque, dont le journal Le Monde, de célébrer l’œuvre de Morris, de vanter sa prose et de louer le personnage.
(Il y a quelques mois, en décembre 2022, la fille de James Morris, Suki Morys, dévoilait dans un article paru dans le Sunday Times que « son célèbre parent était égoïste, négligent, sexiste et profondément méchant ». Qui l’eut cru ?)