L’histoire falsifiée d’une femme qui s’opposait au patriarcat
Le travestissement du passé, un sport trans
Une BD parue il y a quelques mois, intitulée Hors-la-loi : L’histoire vraie d’un cow-boy transgenre, prétend raconter l’histoire d’Harry Allen, un prétendu « homme transgenre » considéré comme le « premier cow-boy transgenre ».
La falsification misogyne de l’histoire est un classique du militantisme transidentitaire. Au travers du prisme sexiste et débile des théories transidentitaires, toutes les femmes qui eurent le courage de contrevenir aux normes patriarcales en vigueur à leur époque et dans leur société, et ainsi d'adopter des comportements, des activités et des tenues réservées aux hommes, sont soustraites au sexe féminin et littéralement considérées comme des hommes (« nés dans le mauvais corps »). Formidablement progressiste, n’est-ce pas ?
Harry Allen était le pseudonyme qu’utilisait Nell Pickerell, née en 1882 dans l’Indiana, aux États-Unis. Très jeune, Nell acquiert un goût pour les activités que la société considère comme masculines, et qu’elle interdit plus ou moins officiellement aux membres du sexe féminin. Nell aime faire du vélo et porter des pantalons. Un article paru dans le Seattle Mail and Herald décrit son père comme un ivrogne qui bat son épouse.
Dès qu’elle fut en âge de travailler, Nell occupe des emplois « masculins » (barman, cow-boy, ouvrier agricole), et, pour cela, se déguise en homme.
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, il fallait qu’une femme possède une certaine audace, un certain courage, pour oser mener une vie d'homme. De nombreuses femmes des régions de l’Ouest américain choisirent de le faire pour des raisons pratiques, par exemple afin d’éviter d'être agressées dans une région lourdement dominée par les hommes. (Dans le Nord-Ouest américain de l'époque de Pickerell, le ratio hommes/femmes était apparemment d’environ 14 pour 1). D'autres s'habillent parfois en homme pour le travail ou parce qu'il est plus raisonnable de se débarrasser de ses atours victoriens pour traverser les Rocheuses en hiver. S'habiller en homme pour jouir d'un mode de vie plus libre est mal vu, mais pas rare. Pensez à Calamity Jane.
Dans le Yakima Herald du 18 mars 1908, Nell Pickerell affirme par exemple : « Je me sens bien plus à l’aise en étant habillée en homme, je peux faire bien plus de choses. Ce n’est pas de ma faute s’ils ne voient pas que je suis une femme. » Dans le numéro du Spokesman-Review du 2 octobre 1911, on lui attribue cette citation : « Je préfère les pantalons libres et faciles à porter du sexe dominant. » (stronger sex)
L'un des portraits les plus précis de Nell Pickerell dont nous avons hérités provient de sa rencontre, en 1912, avec Miriam Van Waters, une anthropologue et défenseuse des droits des femmes, qui rédigeait alors une thèse doctorale. (Rencontre qui prend place dans la prison de Portland, où Nell purgeait une peine après avoir été arrêtée.)
Van Waters note que « dans sa petite enfance, [Nell Pickerell] excellait dans les jeux d'adresse et de force ». Qu’elle était « calme » et « d’un tempérament constant ». Qu’elle « préférait le travail d'extérieur », qu’elle avait déjà effectué des « travaux agricoles » en général.
Peu après la fin de sa puberté, Nell avait épousé un homme bien plus âgé qu’elle (étonnant, n’est-ce pas ?). Un enfant était né de cette union. Seulement, peu après sa naissance, le père décéda ou déserta. Nell fut obligée de contribuer à l'entretien de l'enfant. Elle quitta le domicile familial et tenta de trouver du travail, mais « ne parvint à gagner que de faibles sommes en tant que domestique, serveuse, etc. », comme l’explique Van Waters, avant de poursuivre :
« Elle revêtit ensuite des vêtements d'homme et accomplit un travail d'homme dans des fermes, des camps de bûcherons, des dépôts de marchandises, des écuries, des chantiers navals et des élevages de bétail, en gagnant le salaire complet d'un homme. Lorsque son sexe était découvert, elle était arrêtée et forcée de partir. Dans les villes où le port de vêtements du sexe opposé ne constitue pas une infraction pénale, elle est surveillée par la police et constamment arrêtée pour des motifs mineurs, qui sont toujours rejetés. Alors elle purge des peines en tant que vagabonde. Au tribunal de police de Portland, qui la condamna à une peine de 60 jours en tant que vagabonde, elle dit au juge : “Vous me traitez de vagabonde ; mais laissez-moi sortir une heure dans les cours ou sur les quais, et je trouverai un travail qui prouvera que je ne suis pas une vagabonde.”
Bien que ce privilège soit accordé aux hommes et aux garçons qui se trouvent dans la même situation, il fut refusé à H. A. [Henry Allen, le pseudonyme masculin de Nell Pickerell]. Son casier judiciaire semble donc être le résultat d'une discrimination. Elle refuse catégoriquement de porter des vêtements féminins, déclarant qu'il lui est impossible de gagner honnêtement et convenablement sa vie en étant habillée en femme. »
Van Waters remarque aussi qu’à plusieurs occurrences, Harry Allen (alias Nell Pickerell) « accueillit dans sa chambre, la nuit, des filles incapables de trouver du travail, des filles expulsées de leur chambre par leur propriétaire et des filles trouvées ivres dans des saloons ou sollicitant dans la rue en faisant montre d’un tel amateurisme qu’il était clair qu'elles étaient novices dans la prostitution. Elle ramena à leur domicile deux filles de maisons closes. »
Van Waters conclut ainsi sa description de Harry Allen/Nell Pickerell :
« Pour résumer son casier judiciaire : les arrestations qu’elle subit depuis l'adolescence semblent être dues à l'attitude de la société face à sa non-conformité aux conventions, plutôt qu'à des tendances criminelles. »
Nell Pickerell/Harry Allen n’était pas un « homme transgenre ». Ce terme empreint de sexisme n’a de toute façon aucun sens logique. Il s’agit d’une expression misogyne, au même titre que « garçon manqué ». D’ailleurs, le terme « homme trans » n’est qu’une nouvelle manière, jugée politiquement acceptable, de désigner de prétendues « garçons manqués ». Pourtant, entre « homme trans » et « garçon manqué », la différence est maigre. Les deux termes possèdent un contenu très similaire. L’expression « garçon manqué » désigne « une fille qui s'habille et se comporte comme un garçon, en particulier en jouant à des jeux physiques auxquels les garçons jouent habituellement ». Un « homme trans » ou « homme transgenre » est « une personne dont l'identité de genre est masculine » (Wikipédia). Il s’agit peu ou prou de la même chose. Seulement, il est plus ou moins admis que l’idée de « garçon manqué » est sexiste, tandis que l’idée d’« homme trans », très en vogue à gauche en ce moment, est considérée comme génialement progressiste.
Nell Pickerell/Harry Allen était une femme. Une femme courageuse, ayant décidé de contrevenir aux normes sociosexuelles en vigueur dans son pays, à son époque, quitte à finir en prison. La présenter comme un homme — et qui plus est, POUR CETTE RAISON —, c’est insulter toutes les femmes qui se sont battues et qui se battent contre les contraintes que nos sociétés patriarcales imposent aux femmes. C’est insulter toutes les femmes.
En qualifiant d’« homme » (trans) — ou de « personne non-binaire » — toutes les femmes qui ne se pliaient pas aux injonctions de la domination masculine, vous effacez de l’histoire toutes les femmes rebelles, révolutionnaires, féministes. Vous effacez la lutte des femmes contre l’oppression masculine. Vous défendez et perpétuez aussi les stéréotypes de la masculinité et de la féminité que le patriarcat assigne respectivement aux hommes et aux femmes (si les femmes « masculines » sont en fait des hommes, alors les associations homme/masculinité et femme/féminité sont sauves).
Les femmes qui luttent contre le patriarcat et dérogent aux stéréotypes qu’il impose ne sont pas des hommes. Ce sont des femmes. Et comme l’a affirmé l’autrice et éditrice Marie Shear en 1986, « le féminisme est l'idée radicale que les femmes sont des personnes ».
Merci d’avoir exposé l’histoire de cette femme hors norme. Quand le langage est perverti, les mensonges prospèrent.